Appartement de Shigeru [Fermé]

Mardi premier août 2007.

Un bruit blanc. La bouche pâteuse. Des couleurs un peu ternes. La toile abstraite qui compose ma rétine se transforme en un paysage précis. Un grand éclat blanc, mais sous l'éclat, un grand rectangle orange et crème, avec des petits ronds. Ah. C'est mon bureau. Je me suis encore endormi devant un site porno. Mon bureau est une longue planche de bois qui vient d'un pote, pote qui a dû découper le vieux lit de son gosse pour m'en transmettre une planche. Cette planche est soutenue par deux tréteaux qui menacent chaque jour de céder sous le poids de ma vieille tour d'ordinateur, mon écran qui grésille et mon imposante paperasse. Je l'ai pas triée. J'aurais aimé.

Mon premier réflexe, une fois que mes yeux se sont accommodés aux petits rayons de lumière filtrés par les stores vénitiens, est de consulter mes emails. Il est 5h20. Allez, charge. Putain.

Quand la page s'est affichée, je n'en ai pas cru mes yeux. J'avais reçu un message, dont l'expéditeur n'était autre que "Kaiba Corporation-Hana Kobayashi, chargée de communication". Naïvement, je me suis dit, chouette, ils ont enfin pu voir mon book, avec mes illustrations, mes idées de monstres et d'innovations du jeu appuyées par quelques dessins digitaux et peintures, dont certaines traînent encore par terre. Mais après avoir cliqué sur ce mail, à mesure que mon regard parcourait les lignes écrites par cette chère madame Kobayashi, j'ai vite déchanté.

Kaiba Corporation-Hana Kobayashi, chargée de communication:

Alors comme ça, on me proposait un poste d'enseignant. Grosso modo, si j'avais bien lu entre les lignes, ça voulait dire que mes compétences en tant qu'illustrateur craignaient mais qu'il était temps de mettre à profit mon CV pour quelque chose. Dans le fond, je ne pouvais qu'être d'accord avec le destin.

Depuis que je suis diplômé de FAC et que j'ai complété ma maîtrise il y a un an, je trouve pas de boulot, et c'est pas faute d'en chercher. Ah, si, j'ai bien été employé polyvalent quelques mois au Burger World, qui est à trente minutes de marche d'ici, pour subvenir à mes besoins. Mais à part ça rien, rien en rapport avec mes études et mes compétences: refus de la branche des arts anciens de l'Université de Domino, du Musée, des grandes écoles d'art et j'en passe. Peut-être que je présente pas bien, aucun moyen d'en être sûr. En tout cas, j'avais profité de ce job d'appoint qui me laissait du temps libre, plus de temps libre qu'en études, pour composer un book digne d'intérêt rempli de créatures, de dragons, de guerriers, d'hydres et de machines. J'espérais renouer avec ma vieille passion du dessin, dont j'avais commencé à perdre le goût avec les années de travail acharné. Mais faut croire que dans la vie, on a pas toujours ce qu'on veut. "Donner davantage de visibilité à votre travail par la suite"... Ça veut dire quoi, ça? Que mon boulot est merdique, mais que si je fais quinze ans comme prof à la Duel Académie, ce sera un chef-d'oeuvre d'art moderne? D'accord, non mais rien à foutre.

Je sais pertinemment que j'aurais dû être heureux de cette proposition. Je sais pertinemment que le marché de l'emploi à Domino est dur, mais une petite voix dans ma tête ne cessait de me répéter: t'es un gros raté, Shigeru. T'as voulu couvrir tes arrières, et maintenant tu te retrouves enseignant sans jamais réellement l'avoir voulu. Oui mais, répondait une autre voix, tu travaillerais quand même pour la Kaiba Corporation, c'est pas rien. Et puis, qui sait, peut-être que si tu insistes un peu, sur le côté... Tu pourrais même envoyer des idées de cartes et de jeux à des boîtes rivales... Oh, pas con. Mais la Kaiba Corporation n'a pas, ou plutôt plus de rivaux. Industrial Illusion? Fichus, ils sont tous justes bons à partager de moindres parts avec l'entreprise au Dragon Blanc, dans une interdépendance forcée, et y paraît qu'il y a des licenciements massifs depuis quelque temps. Le Black Clown? Ils ont tenté de commercialiser un nouveau jeu y a déjà quelques années, Dungeon Dice Monsters, mais ça avait fait un bide. Non, peu importe dans quel sens on retourne le problème, la carrière de game designer que j'ai envisagé est fichue. Bon. C'était bien de rêver.

Je lève enfin mon cul de ma chaise et enfile ma longue veste kaki froissée, manquant de faire tomber mon vieux Duel Disk 2.0 auquel je ne touche plus depuis la fin de ma maîtrise. Je vais faire un tour en ville, histoire de me changer les idées. J'ouvre la porte, la verrouille, descends les escaliers pourris et je dégage de l'immeuble, aujourd'hui, l'air semble y être trop lourd. Je vais vers la Place de l'Horloge, à pattes.

Changement de lieu.

Lieu précédent.

J'suis rentré en claquant cette pauvre porte qui m'avait rien fait, mais j'en avais assez. Mon appartement me semble terne et vide, mais c'est quand même un bon lieu -le seul- que j'ai pour me ressourcer. Je me surprends à penser que c'était mieux, en fait, chez Kami. J'allume le poste télé pour me changer les idées, en me larguant dans le vieux sofa vintage et rapiécé dans un coin supérieur de mon T1. Dans mon appart, peu de fenêtres. Juste une au niveau du mur parallèle à mon lit. J'ouvrirai pas. Quoique. Plus tard, besoin d'air frais. C'est un jeu à la con, à l'écran. Le présentateur doit donner un coup de sabre en bois sur les culs des participants s'ils répondent mal. Je finis par trouver ça chiant et à force de zapper, je me décide à aller dans mon lit et de fixer l'plafond. Tsh! Ils pourraient au moins rediffuser des épisodes de Gantz. J'suis toujours preneur, moi! Et à vingt heures, alors que je me disais que j'allais cafarder tout seul chez moi, je reçois un SMS de... Enfin, je sais pas qui c'est, mais je suppose que c'est Kami... Non? Elle m'a envoyé un "Salut!", avec un émoticône souriant. Je réponds de façon précautionneuse:

Yo! Kami, c'est bien toi???

Je me demande ce qui va suivre.

J'entends un bruit familier, alors que je suis toujours recroquevillée sur mon lit. Je crois que je me sens mal, mais je ne sais pas encore pour quelle raison. En tous cas, Shigeru vient de me répondre. Il n'y a que lui qui puisse m'envoyer un message à cette heure, surtout que je l'ai sollicité.
        Il me demande si c'est bien moi. D'accord. Donc lui m'a donné son numéro, mais moi pas. C'est une information capitale, je pense, pour continuer la conversation.

Kami Sakuraï : Oui, tout à fait, Professeur. J'ai vu le papier avec ton numéro - resté dans ma poche. Tu étais patrti en laissant un simple mot... (Je réfléchis deux secondes, et je me rends compte que j'ai une boule dans l'estomac, comme si j'avais mangé du plomb.). Je m'inquiétais de pas te voir, je crois, c'est tout. C'était même à se demander si j'avais pas rêvé ou déliré. (Nouvelle pause dans mes pensées.) Puis, j'ai vu le sac, avec les bougies, le petit chat en peluche, ton mot et ces fichues bouteilles. Ah ah ah!

         Je n'aurais jamais dû parler des bouteilles en dernier, je crois, mais bon, au moins ça prouve que j'ai testé la véracité des faits. C'est, d'un côté, appréciable, de l'autre, c'est malpoli. J'espère qu'li va pas mal le prendre...

Ah... Zut, elle m'en veut? C'est pas croyable ça, j'en sue à grosses gouttes. Que répondre à un truc pareil?

Shigeru Yamane: Désolé pour la Hikari... C'était pas une bonne idée, hein? En tout cas, j'espère que tout va bien de ton côté. J'espère aussi que mon gage pour le pari est pas trop sévère, haha!! *o*

Comme je le prévoyais, je n'aurais pas dû parler des bouteilles, même si cette courte information était suivie d'un "Ah ah ah!". Je n'ai pas voulu le vexer, et je veux encore moins l'inquiéter. Bon. Le tout, c'est de le rassurer maintenant. Et de continuer à m'informer discrètement de ce qu'il s'est passé, de nos... relations.

Kami Sakuraï : La Hikari, non, c'était pas si grave, et puis j'ai été forcée de remettre de l'ordre - et bien - dans mon appartement, ah ah ah! （・∀・） Je crois que tout va bien de mon côté, j'ai encore la tête ailleurs, mais mon nouvel ami le petit chat m'aide bien! (Pourquoi j'ai dit ça, moi..?) Et pour le pari. Bon, je dois le faire. En plus, c'est moi à l'origine du bazar. J'aurais péféré le gagner, comme ça, je t'aurais forcé à rester avec moi ∩( ・ω・)∩  Mais promis, demain, je viens en Magicienne des Ténèbres! ( ˘ ³˘)

       Je contemple mon message, c'est satisfaisant, j'imagne, pour rassurer quelqu'un! Heureusement que Shigeru m'ait laissé son adresse : avec le mal de crâne que j'ai, et mes souvenirs brouillés, je ne sais même pas si j'aurais pu le reconnaïtre. M'enfin, je pense qu'en me concentrant, je peux fixer de nouveau son image nettement.
        Je me concentre bien, très bien même, je puise au plus pofond de ma mémoire, tandis que le message est en train de s'envoyer. Ah. C'est bon, je peux me remettre sa tête. Et oui, il est plutôt mignon.

Enfin! Elle a répondu. Oh... Alors, le petit chat lui plaît, hein? Oh. Rien qu'à imaginer Kami en Magicienne des Ténèbres, j'ai un coup de chaud. Muhahahaha, je l'savais, ça a marché, je suis démoniaque! Bon, j'étais quand même à deux doigts de perdre, mais un pari reste un pari jeune fille!! Je souris, je suis enfin un peu plus détendu en pensant à la journée de demain.

Shigeru Yamane: Héhé, je savais bien que toi et le chaton vous feriez une fine équipe! \o/ Tu sais, moi aussi j'aurais bien voulu rester, mais j'ai eu une sombre affaire à régler, un truc pas cool... Au fait, en repartant, j'suis tombé sur ton voisin, il était en plein trip tout en faisant son ménage, c'était marrant! Pas vraiment eu le temps d'lui parler, mais ça a pas l'air d'un mauvais bougre. Tu sais quel film je vais t'emmener voir demain?

Shigeru me répond quasiment dans l'instant. Il n'a plus trop l'air inquiet. Hum, donc ça va, j'arrive à rétablir une situation où j'ai fait une légère bourde. En ce qui concerne l'autre bêtise, le pari, je vais devoir assumer. Après tout, ça ne sera pas si terrible que ça, c'est juste un déguisement, et puis, si ça peut le faire rire. N'empêche, dans quoi je suis en train de m'embarquer?
        Malgré tout, j'ai hâte que demain arrive. Je vois rarement des gens, encore moins des gens que j'apprécie. Bon, il y a bien mes parents, mais ils sont insupportables. Il y a aussi Atsuko, mais flemmarde comme elle est - selon elle-même en plus - c'est pas gagné pour la faire venir. Au moins, avec Shigeru, j'ai, semble-t'il, trouvé quelqu'un avec qui passer du bon temps, et ça me fait le plus grand bien - et très plaisir.

Kami Sakuraï : Le chaton est un bon coéquipier, ah ah ah! (=ↀωↀ=) (Je réfléchis un instant.) Mais sûrement pas autant que toi : il refuse systématiquement les duels! (◞‸◟) (Je réfléchis encore un instant : quelle sombre affaire avait-il à régler? J'ai un pincement au coeur.) Tu resteras, la fois prochaine? Je peux m'arranger, tu sais! ʕ￫ᴥ￩ʔ (Ah, il trouve "Darren" marrant, je me demande s'il en pensera la même chose quand il dormira - s'il y arrive - ici...) "Darren" est divertissant, oui, mais je doute que tu trouveras le sommeil, si tu restes avec moi! Tu verras au moins une fois ce que ça fait d'avoir un "Darren" en voisin! Il est pas méchant, mais je crois qu'il est atteint de surdité passagère, des fois! (⊙_☉) (C'est vrai, on se fait un cinéma, demain, et je vais être en cosplay, une drôle d'expérience...) Aucune idée, et je t'avoue que ça m'intrigue! (･∀･)

        J'enchaîne rarement plus de deux messages par SMS, je préfère me concentrer sur les conversations par ordinateur, mais Shigeru est quelqu'un de... mystérieux. Ce sera une exception, pour lui, j'aurais une longue correspondance par SMS, il le mérite bien : il m'a fait sortir de mon train-train quotidien, et d'un côté, je n'attendais que ça!
         J'envoie le message. En fait, je n'avais pas à m'inquiéter de la suite de notre échange. Tout se passe bien, et je ne vois aucun sous-entendu laissant penser que... Enfin, bref. Je vais passer vraiment un bon moment. Il faudra que j'en parle à Atsuko, vraiment, c'est trop étrange pour être vrai, mais trop bête pour pas l'être.

Oh! Rapide! On est partis pour avoir une longue conversation, on dirait. Je regarde sur mon téléphone le site de Kaiba Land, pour bien vérifier les horaires avant de dire une connerie. Pourvu qu'il y soit toujours! Ah... Chargement... Et, yes!!! Je peux commencer à écrire mon SMS suivant à Kami.

Shigeru Yamane: Ah, ça! Ça s'appelle "Les Clowns Tueurs venus d'Ailleurs"! C'est un vieux film américain, il date de 87 et il est un peu nanar, mais j'avais envie de le voir, depuis le temps qu'un pote m'en parlait! Et par chance le cinéma de Kaiba Land le passe demain soir à partir de 21h30! Sinon, si c'est pas trop ton genre de film ou si c'est trop tard, on peut toujours se mater "Sans limites", le biopic tout récent sur Seto Kaiba qui est sorti y a deux jours! Je sais pas ce qu'il vaut, c'est Hideo Nakata qui l'a réalisé. J'aime pas trop ce réal, mais si on met de côté son style un peu superflu, ça peut être intéressant je suppose... Non?

Allez, "envoyer"! Je prie pour ne pas avoir perdu Kami dès qu'elle aura lu "Les Clowns Tueurs venus d'Ailleurs". Pourvu que ça passe, pourvu que j'aie pas l'air d'un vieux con fermé d'esprit, et pourvu qu'elle soit pas fan de Hideo Nakata! J'aurais dû réfléchir deux s'condes avant d'appuyer sur ce fichu bouton!!

Bon. Il ne répond pas à mon invitation à rester chez moi. Mince. Dire que je voulais faire des duels, ou même ramener ma vieille console de jeux, question qu'on puisse plus partager sur le sujet, car comme moi, il a l'air d'être un tantinet otaku. S'il m'évite et décline cette invitation, c'est soit la perspective d'avoir les belles vocalises de Darren et ses amis dans les oreilles, soit il me prend pour une psychopathe, ou bien - théorie la plus probable - il est trop timide.
         Enfin, après, faut réfléchir un peu, ça ne fait pas longtemps qu'on se connaît, en fait. Que depuis quelques heures... Même si j'ai l'impression qu'on partage beaucoup de choses en commun, et que sa présence me réconforte, d'un côté. Clairement, je passe trop de temps seule.

          Shigeru veut m'emmener voir un vieux film, avec des clowns. Brrrr. J'ai un frisson. Je n'aime pas les clowns depuis que je vois la façade de cet autre magasin de jeux qui fait vraiment très peur. Il paraît même que le propriétaire est un clown, quelque chose comme ça... Mais bon, c'est pas le moment de se dégonfler. Au pire, si j'ai un trop gros malaise, je peux fermer les yeux...
          Et puis Shigeru me dit qu'il souhaitait le voir depuis un bout de temps. Meh. Un peu de courage. Ce n'est qu'un film, ça ne va pas être si terrible que ça, non? C'est du faux, c'est tout, et puis des clowns tueurs venus d'ailleurs, d'un autre monde, c'est fantasque, pas de quoi s'en faire! Je réponds en tremblant... Brrr. Des clowns...

Kami Sakuraï :Partante pour ce film au titre;.. étrange... et décalé, ha ha ha! (Sauf que dans le cas présent, j'ai pas trop envie de rire.) Et puis, les biopics, c'est pas trop mon truc, ha ha ha! (Non, je suis plutôt longs métrages d'animation, en fait.) Après le cinéma, tu veux qu'on fasse autre chose, ce que tu veux? (Prions pour que ce ne soit pas une attraction extrême, ou je ne sais trop quoi.) Et je te dois toujours des Udon! Tu vas voir, ils sont bons! (~￣³￣)~

            Ok, c'est parfait comme ça. On ne peut pas percevoir ma peur des clowns. Il ne va pas me prendre pour une flippée. Tant mieux. J'ai aucune envie qu'on se moque de moi à cause de cette peur bête et simple, et surtout ridicule. J'envoie le message. Et je suis plutôt satisfaite de ne pas laisser transparaître une quelconque peur absurde.

Cool! Elle veut bien l'voir avec moi, ce film barré! Je suppose, enfin, j'espère que le film va la faire marrer! Dans le pire des cas, elle se blottira contre moi, et alors là... Héhé. Je notifie l'invitation à demi-présente de Kami, et après un mur temps de réflexion qui a impliqué l'image de la Magicienne des Ténèbres me faisant la cuisine, je finis par accepter. Hum... Les bases solides d'une relation de couple émergent peut-être! Hahaha! Je vais finir avec une nana plus jeune que moi qui s'habillera en Magicienne des Ténèbres quand je l'veux! C'est l'pied, par Satan!!

Shigeru Yamane: D'acc. On peut tout à fait passer chez toi après le cinéma! Les Udon c'est pile c'qui faut pour terminer une bonne soirée, si tu veux je t'aiderai à préparer tout ça. J'vais me régaler, mais dans ce cas, j'te dois deux invitations à ma piaule, et c'est moi qui préparerai les repas!

J'ai une boule dans l'estomac rien qu'à cette idée. Je crains complètement dans ce domaine.

Shigeru Yamane: Et t'en fais pas, on va faire plein d'choses avant le ciné! Il y a le Blue-Eyes Mountain qui est à prix réduit en ce moment, ce serait bien fendard de se l'faire, non? 8D

Est-ce qu'elle kiffe les attractions à sensations fortes? Je prie pour que ouais! Et puis, le Blue-Eyes Mountain, c'est pas non plus comme l'Ultimate Space Dragon, ça tourne pas dans tous les sens mais ça fait des sortes de montagnes russes, de ce qu'on m'a dit.

Mon téléphone portable me notifie d'une nouvelle réponse. Shigeru est vraiment très réactif. Je me demande bien pourquoi. Il est peut-être pressé de me voir habillée en Magicienne des Ténèbres, avec ce pari déjanté, je suis sûre qu'il est en train de jubiler et d'avoir un rire démoniaque derrière l'écran, tant il trouve la farce drôle. Bon, au moins, il va pouvoir profiter de quelque chose de "fun".
        Il est d'accord - ou plutôt "Dacc" - pour mes Udon. Finalement, on va passer, comme je le prévoyais, un peu de temps chez moi. Je vais peut-être voir si ma vieille console est dans un des cartons qui reste. Avec un peu de chance, il y aura une pochette de jeux. Tout ça, ça calmera mes sensations fortes de la journée : attraction que je juge extrême ( la dernière fois que je suis allée à Kaiba Land, j'étais trop jeune pour monter dans cette attraction...) et cinéma un peu flippant, avec la plus stupide de mes peurs... les clowns.
        Je jette un oeil à mon réveil, il est près de 21h30. Je n'ai pas encore mangé, même si je n'ai pas faim, mais plus important de tout, si je dois venir habillée en Magicienne des Ténèbres demain...

Kami Sakuraï : D'accord, Monsieur le Prof', aussi partante pour le Blue-Eyes Mountain! Tu peux compter sur moi pour venir chez toi, parce que je te trouve bien mystérieux! (・о・) Je vais devoir te laisser, je crois, je suis désolée... Mais pour honorer mon pari de demain, il faut bien que je me prépare! Je pense qu'une petite douche, c'est déjà un début, non?

       J'hésite à envoyer mon message dans l'état actuel. On dirait que je suis en train de le jeter, quand je relis la fin de mon message. Et puis, ce garçon, il a l'air de laisser s'emporter ses sentiments, de ce que j'ai pu voir, face à Jay... Bon. Pour que tout soit bien posé et univoque, j'ajoute à la hâte une toute nouvelle fin à mon SMS. Au moins, ce sera davantage rassurant, et il ne va pas se méprendre sur ce que je veux dire. Je sais que je ne suis pas délicate parfois, dans la vraie vie, et même par texte, pourtant, c'est jamais dans mes intentions!

Kami Sakuraï : J'ai hâte de te voir demain, malgré les closes du contrat! Encore désolée de devoir te laisser! Je te souhaite de passer une bonne nuit, et de faire de beaux rêves! Bisous, et à demain! Je t'adore! (˶⚈Ɛ⚈˵)

       Même si mes intentions sont formulées de manière un peu bancales, je pense qu'il comprendra, et que le message ne fait ni trop froid, ni trop suspect. Je me sens coupable de me sentir ridicule à l'avance pour demain. Shigeru ne pense pas à mal, je crois, et en plus il fait en sorte qu'on puisse se revoir dans des circonstances... encore plus déjantées que lorsqu'on s'est quittés. C'est un sacré gars. Je me demande bien quelles genres de choses il enseigne, et surtout comment... vu son niveau d'improbabilité!

Changement de lieu.

Cette fois, on dirait que la réponse de Kami met un peu plus de temps que d'habitude à arriver. Je me demande ce qui se passe dans sa tête, à ma future étudiante. Maintenant que j'y pense, j'ai toujours pas envoyé mon mail de confirmation à la Kaiba Corp, enfin à cette Hana Kobayashi chargée de communication ou que sais-je. Alors que je suis sur le point de me redresser sur mon lit pour atteindre l'ordinateur, mon portable sort de sa veille. Je regarde d'un œil attendri ce qui m'a l'air d'être le dernier message de Kami pour la journée. Elle... Elle m'adore! YES!!!!!! J'ai un mouvement victorieux et je lève le bras, ce qui manque de faire craquer mon lit. Aah, ce qu'elle est taquine, celle-là! Je pense bien qu'elle n'est pas dérangée de mon plaisir maléfique au sujet du pari, quand bien même j'ai eu un sacré mal à le cacher.

Shigeru Yamane: Dors bien championne, tu risques d'en avoir besoin! Je t'ai préparé un sacré planning pour demain, tu vas sûrement passer une chaude journée! ψ(｀∇´)ψ Bonne nuit ma p'tite, et à demain! (◑‿◐)

Auparavant... Je me disais, j'aimerais bien qu'un jour il m'arrive des trucs bien. Et on dirait qu'aujourd'hui, ça a enfin été le cas! Je m'adosse à ma chaise de bureau noire, j'allume la petite lampe d'appoint qui est à droite de ma paperasse, puis c'est le bouton de ma tour d'ordinateur que je presse. Une fois mon logiciel de messagerie ouvert, je suis à la limite de faire un massage cardiaque à mon clavier.

À l'attention de Madame Hana Kobayashi:

Voilà, c'est envoyé! J'ai éteint ma tour et je me suis jeté dans mon lit. J'ai eu mon compte d'agitation moi! Sans prendre la peine de me désaper, je me suis endormi comme une vieille souche, très probablement la bouche ouverte et complètement tordu.

Fin du Mardi Premier Août 2007.

Mercredi 2 Août 2007

Je suis seul. Tout seul, sur la Place de l'Horloge. Vide de monde, l'endroit est méconnaissable. Il règne une bruine qui me met bizarrement très à l'aise. Ça me détend, c'est comme une douche froide un jour de canicule. Je ferme les yeux, je lève les bras pour enlacer la pluie... L'instant est accroché à un grand lustre, et ce lustre est le temps lui-même. Oui, un vrai lustre, c'est pas métaphorique! Un vrai lustre qui flotte dans le ciel. Le lustre ressemble à une cage qui abrite quelque chose, mais quoi? C'est une lumière jaunâtre qui scintille. Autour d'elle, une aura sombre et diffuse. Mais qu'est-ce que c'est qu'ce truc?...

D'un coup, le lustre géant tombe du ciel. Je dois me ressaisir et faire une manœuvre de dingue pour l'esquiver. Il tombe avec un fracas assourdissant. Attends... En dessous de cette structure métallique, il y a une carte! Au prix de contorsions peu communes, j'arrive à pénétrer la structure, et je ramasse le petit bout de carton. Tiens?... Mais, c'est mon Phoenix Sacré de Nephtys? Eh, mais qu'est-ce qu'il fout là? Tout d'un coup, j'entends distinctement une femme hurler "À L'AIDE". Je me précipite. C'est derrière le fleuriste Kozuka, je suis pas loin. Pourvu qu'elle n'aie rien! J'arrive, et... Il est trop tard. Son chemisier rose est ensanglanté et elle ne bouge plus... Non!!! Elle doit juste être blessée, il faut l'amener à l'hôpital au plus vite!!!

???: Tu ne peux pas influer sur la vie, mon garçon!!!

Que... Quoi? Mais qui parle? On dirait que c'est tout proche, genre dans mes oreilles.

???: Tu n'es pas le Gardien des Morts, tu sais!!! C'est à moi que revenait l'âme de cette femme!

Que... Mais... Qui êtes-vous? Aaargh, je tombe! Purée... Pourquoi a t-il fallu que je glisse? Je vais me claquer la tête contre le bitume! J'ai l'impression que dans pas longtemps, je me chope un traumatisme crânien... Je vois tout au ralenti... Dans deux... Une seconde!!

Shigeru Yamane: AÏE!

Merde, je dormais en fait! Mes yeux ont eu du mal à s'ouvrir quand je suis tombé de mon lit, mais tout c'que je sais c'est que ma tête a dû cogner sévère contre mon plancher. Aïe aïe aïe... Purée, c'est dingue  ce machin. Pendant mon rêve, j'ai cru qu'une présence effrayante voulait me causer, juste au moment où j'ai posé la main sur ma carte. Je regarde ma table de chevet en bois. Coïncidence? Mon Deck est posé à côté de moi, avec mon Phoenix Sacré de Nephtys bien visible sur le dessus. Et puis... Oh, non. Mon vieux lustre en métal donné par ma mamie est tombé du plafond. J'me disais bien que cet objet flottant dans le ciel m'était trop familier. Finalement, des fois, ça a une explication toute conne, les rêves...

Hop! Un bond hors du lit, et je regarde l'heure sur mon téléphone parce que j'ai été trop flemmard pendant plusieurs années pour m'acheter un réveil ou une horloge. Il est 8h15... Parfait! Ça me laisse du temps pour réparer ce vieux lustre avant que ne vienne Kami. J'ai une visseuse électrique posée sur l'appui de fenêtre, matons ça... Ah. Il me manque au moins trois vis pour refixer ça au plafond. Mmh...

Partagé entre la flemme et l'urgence, je décide de me laver en vitesse. Pour le coup, comme j'ai rencard aujourd'hui, je tente désespérément de discipliner mes cheveux. C'est un échec, mon peigne en plastique se tord même sous la pression. Bah, faudrait peut-être que je songe à les couper chez le coiffeur, un jour... Ou m'en occuper moi-même à la tondeuse... Mais pas maintenant, j'ai trop l'image de mon daron chauve en tête pour franchir le pas. Peut-être l'an prochain. Peut-être dans cinq ans. Qui sait. En tout cas, aujourd'hui, je m'habille décontracté: jean bleu-vert délavé, chaussettes grises, sneakers blanches, t-shirt noir. Voilà... Maintenant, je dégringole dans ma cage d'escalier après avoir méticuleusement verrouillé ma porte (ancienne habitude due à mon voisin du dessus, qui n'est pourtant plus là depuis des mois), porte-feuille en poche et me voilà à l'extérieur. J'vais au magasin habituel de bricolage dans ma rue, le Hammer (qui porte ce nom-là par respect envers l'ancien cinéma de quartier qui diffusait majoritairement des films de la Hammer). J'ai tellement chaud que je mets mes cheveux un peu en arrière. La caissière me demande alors avec intérêt ce que je fais et si je veux des conseils de bricolage, mais j'essaie poliment de décliner son invitation à bavarder en disant que j'ai rendez-vous. Purée, j'en ai marre, qu'est-ce que c'est que ce fétiche de cette meuf sur le gros scotch et les liens de serrage? J'en ai juste eu pour 560 yens, avec ma carte de fidélité. Bon, on remonte à l'appart avec la boîte de vis, ça va quand même pas me bouffer toute la matinée cette histoire!

Et voilà! 8h46, j'ai enfin réparé ce putain d'lustre! En équilibre sur un de mes vieux tabourets de bar en osier et en bois, avec quelques tremblements et j'ai failli m'casser la gueule plusieurs fois, certes, mais c'est réparé, haha!! Je m'allonge un peu sur mon lit et j'allume mon téléphone pour mettre un peu de musique. Ah? Kami m'a envoyé un SMS!! Hum...

Voir le SMS:

Oh. J'ai une bosse dans mon pantalon. Merde, c'est pas l'moment d'bander! Faut à tout prix que j'arrête ça. Bon, j'vais prendre un petit-déjeuner rapido, avant de faire quoi que ce soit. Je verse des céréales au caramel et au chocolat dans un bol, puis un peu de lait. Enfin, c'que je croyais être du lait. Putain, c'est ma bouteille de Saké que j'avais réservé pour la prochaine visite d'Akira!!! Encore heureux, j'ai mis la moitié du bol et ça a pas débordé. Je prends donc la décision de ne pas faire de gâchis et de consommer ce petit-déj' pour le moins... Singulier... Puis, après avoir débarrassé et fait un brin de ménage, je pianote un petit message pour ma rouquine envoyé à 9h03.

Changement de lieu (par SMS).

Lieu précédent.

J'attends comme un con dans mon lit, un peu rêveur, peut-être à cause de l'effet du saké. Pas d'réponse? Bon, c'est pas grave... J'vais regarder des vidéos sur Youtube. Ah! 9h57. J'reçois enfin une réponse, enfin plutôt, un message, vu qu'elle a pas l'air d'avoir notifié mon SMS précédent...

Vous avez reçu un message de Kami Sakuraï , à 9h57:

Damned. Ma trique reprend. C'est qu'elle veut m'tuer ma parole, elle est même pas encore arrivée que j'suis chaud bouillant! Je me passe un peu d'eau fraîche sur le visage (je vois absolument pas en quoi ça m'est utile), et je me décide à envoyer ceci.

Changement de lieu (par SMS).

Lieu précédent.

Haa. Je sautille partout comme si je j'faisais un pogo. Vite, viiite Kami, ramène-toi! J'suis trop pressé de te voir, j'en peux plus d'imaginer des trucs chelous dans ma tête!! Je vais lire un peu pour me changer les idées...

APPARTEMENT DE SHIGERU
- Kami Sakuraï & Shigeru Yamane -
OUVERTURE JUSQU'AU PROCHAIN CHANGEMENT DE LIEU

Lieu précédent.

Je suis passée devant la boutique de jeux surplombée du clown,  et je m'enfonce plus profondément dans les artères de la ville que je ne connais que trop peu. D'accord, j'ai répété l'itinéraire dans ma tête plusieurs fois, en prenant des points de repères. J'ai même redessiné le plan sur un bout de papier - resté malheureusement dans mon pantalon qui est dans le sac.

     Je ne sais pas du tout où je vais, je ne connais absolument pas les lieux, et, à vrai dire, la réputation qui colle au quartier n'aide pas beaucoup. Bon. Entre deux j'ai bien reçu des SMS de Shigeru, me disant que, si je ne trouvais pas, je n'avais qu'à lui téléphoner. Mais je n'ai pas envie de m'avouer vaincue si vite...
      Argh. Bientôt 10h30, et je ne trouve toujours pas. Je désespère. Surtout qu'au magasin de bricolage, au coin d'une rue, l'une des vendeuses me regarde d'un drôle d'oeil, et je n'aime pas ça. Je me demande ce qu'elle veut. elle n'aime sûrement pas mon costume, ça ne doit pas lui revenir, à en voir sa tête. En tous cas, ce n'est pas à elle que j'irais demander mon chemin...
   
       Je suis résignée. J'ai besoin de l'aide de Shigeru. Et j'avoue que la perspective de rentrer dans un groupement d'appartements qui correspond à une propriété privée, sans y avoir mis les pieds avant, me met un peu mal à l'aise... J'attends devant le magasin de bricolage, toujours sous l'oeil de la vendeuse. J'appelle Shigeru. Vite, s'il te plaît, vite... Shigeru, s'il te plaît, tu peux décrocher viiiiite...
        Nerveuse, je chuchote au téléphone, de façon plaintive :

Kami Sakuraï : Shigeruuuuuu....

Huh? Mon téléphone se met à hululer. Un appel de Kami, chouette!!! Je décroche aussitôt.
Shigeru Yamane: Yo, Kami, t'es où? Dis-moi ça, je passe te chercher!

Ah. La tonalité criarde coupe avec une netteté incroyable. Shigeru décroche. Enfin! Les lieux ne me mettaient pas vraiment à l'aise, et la vendeuse qui me regarde à travers la vitrine du magasin de bricolage tient un marteau à la main, en le fasant claquer doucement contre sa paume. Sérieux... Mais pourquoi elle se comporte comme ça, à la fin?
    Bon, j'entends Shigeru très nettement, à l'autre bout du fil - façon de parler - mais il me semble qu'il se tient à des lieues de moi. Pourtant, je suis pile dans son quartier... Et je suis sûre que son appartement n'est pas si loin que ça... Ha ha ha... En tous cas, j'ai du mal à répondre. J'arrive à peine à bredouiller un timide "Coucou." Je vais finir par l'inquiéter si je ne réponds pas plus vite, pour lui donner ma position dans le quartier.
      J'inspire un grand coup, je regarde les lieux autour de moi : le magasin de bricolage est le seul endroit que l'on remarque vraiment bien. J'espère que Shigeru connaît au moins ce magasin... Je réponds à la hâte :

Kami Sakuraï : Shigeru! (C'est limite un cri de joie!) Je... Je suis... Devant un magasin de bricolage, là... Je sais pas si tu connais?.. La vendeuse me regarde en jouant avec un marteau. Je flippe un peu là... Merci de te proposer aussi vite pour venir me chercher... Ha ha ha... (Je ne suis pas du tout rassurée, enfin, je serais rassurée, quand Shigeru sera là!)

Shigeru Yamane: Un magasin de bricolage? Ah, tu dois être au Hammer! Bouge pas, je viens t'chercher.

Mince alors. Elle avait l'air paniquée. Bon, je sais que j'habite pas forcément dans le quartier le plus glamour de Domino, mais c'est pas le Bronxe non plus... Enfin, quand on y réfléchit bien... Avec mon ancien voisin qui dealait et la meuf du Hammer qui est très très louche... Bref! Je descends les escaliers, après m'être imbibé de parfum à la fois au cou et au torse et aux parties... Sensibles. J'ouvre la porte d'entrée de mon immeuble et, après avoir cherché Kami du regard, je la vois effectivement quelques pas à droite de ma rue, presque à la limite de se recroqueviller sur elle-même.
Oooh, c'qu'elle est mignonne!

J'ai bien fait de l'amener à la boutique d'Akiko. Elle est complètement à craquer comme ça, le costume est pile comme il faut! Brr. Et avec ses lunettes, curieusement, ben c'est encore plus mignon. Avant d'avoir pu constater que j'avais l'air au mieux d'un abruti, au pire d'un sinistre pervers, ma bouche s'est ouverte et mes yeux se sont écarquillés dans un éclat de béatitude et de stupéfaction mélangées. Huh... Tu vas me jeter un sort, toi, avec ton joli chapeau bleu et ton corset à bandes froissées! Et cette jupette rose à pliures qui épouse à merveille la forme de ses jambes... Ah. Je suis un homme heureux et comblé, c'est bon, je peux mourir maintenant. Euh... Non, j'ai promis une sortie! Vite Shigeru, réveille-toi putain!!

Shigeru Yamane: Hé, Kami! Euh, yo! Hé... Héhéhé...

J'arrive pas à articuler clairement. J'suis trop louche, je sais, mais en voyant cette petite dans ce costume j'peux pas m'contrôler! Me connaissant, j'aurais peut-être pas dû mettre en place un pari aussi démoniaque! Essayons d'être un gentleman.

Shigeru Yamane: Tu... Tu veux v'nir manger avec moi? Haha!... Je... Je vois qu'Akiko t'a passé pile la bonne taille dis-donc, ça... Je trouve que, ça t'va rudement bien, haha!

Je me frotte l'arrière du crâne comme un débile. Gloups... J'commence à transpirer, merde!

Shigeru Yamane: Bon, euh, tu as bien mangé hein? Sinon, tu... Tu veux qu'on aille en ville te prendre quelque chose? Dis... Dis-moi le coût du costume, je vais faire un retrait à la borne la plus proche pour te rembourser la location!!!

Purée. N'empêche. Elle a vraiment respecté le pari. Chapeau pour ça, l'artiste! Je sens qu'on va pas s'ennuyer aujourd'hui. Hum... Je suis vraiment chanceux, ce soir je vais au cinéma avec la Magicienne des Ténèbres!

Shigeru arrive plutôt vite, et je suis davantage rassurée quand il est bel et bien là, à peine à quelques centimètres de moi. Tiens? On dirait qu'il... Non.. Sérieux?... Il a voulu se faire mieux... pour moi? Pfff... Les garçons... Je retiens un petit rire. Il a même poussé le vice assez loin, c'est qu'il s'est parfumé, le bougre! Ah là là là là... Je décolère de mon rêve de début de matinée. Il a l'air vraient attentioné, comme garçon!
     Il me demande un tas de choses. J'ai à peine le temps d'assimiler les informations. Bon, je comprends qu'il s'inquiète de savoir si j'ai mangé, d'accord. Si ce n'est pas le cas, il m'invite, d'accord, d'accord. Et il me demande le prix de la location du costume, d'accord, d'accord, d'accord.

Kami Sakuraï : Pour le costume, on verra ça plus tard, d'accord? Merci de t'inquiéter pour moi, mais j'ai déjà mangé, vite fait, ce matin, avant de partir... Et, ah, oui, j'ai oublié de te dire bonjour...

      Je me dresse sur la pointe des pieds, et je fais un bisou à Shigeru. Il pique beaucoup, c'est sa barbe, ça, mais bon. C'est la moindre des politesses. Et puis, j'ai jamais fait la bise à un barbu. Je me demandais ce que ça faisait.
       Entre temps, je le regarde de haut en bas. J'ai mon sac de rechange à mes pieds. Mais lui ne semble pas avoir pris ses affaires... Ah, vraiment, sacré Shigeru!

Kami Sakuraï : Tu n'as pas pris ton sac avec toi? On va passer donc par chez toi, d'abord, j'imagine?

Shigeru Yamane: Ah... Euh... Oui, c'est vrai, merde! Bon, euh, comme ça, tu sauras dans quel immeuble j'habite, c'est pas plus mal!

Bon, bah on y retourne. La porte de l'immeuble crisse, c'est un truc de malade. Accompagné de la délicieuse Kami, je gravis les marches casse-gueule en bois, très étroites et franchement pas en bon état. Arrivé au niveau de mon étage, je réalise un truc. J'ai pas décroché les posters de pin-up à l'intérieur! Je décide d'esquiver ce problème par une excuse bidon.

Shigeru Yamane: Euh... Kami, j'ai laissé un peu de bordel là-dedans... Hum, ça te dérange pas de m'attendre deux minutes à côté, le temps que je range les fringues et la nourriture qui traîne? Ce sera sûrement encore moins long que je l'dis...

J'ai toujours la joue qui gratte, après avor fait la bise, même après avoir monté plusieurs marches pour monter jusqu'à l'appartement de monsieur. J'ai la peau ultra-sensible moi, ou quoi? Je me frotte la joue à plusieurs reprises. Pourquoi j'ai fait ça, moi?
     Shigeru stoppe devant la porte de son appartement, en me disant qu'il a quelques petites choses à ranger. Ah... J'arrive peut-être un peu à l'improviste, je crois. Mais bon, il n'a pas à être aussi gêné. Entre nous, quand il est venu, c'était pas non plus nickel chrome chez moi.
      Il se donne trop de mal. Et ça m'embête un peu. Je pense pouvoir faire abstraction des choses mal ou pas rangées. Après tout, je sais ce que c'est aussi, maintenant, de devoir tenir un appartement, et ce n'est pas toujours une tâche aisée.
     
Kami Sakuraï : Oh, tu sais, ça ne me gêne pas du tout! Au pire, je peux ne pas y faire attention! Et tu sais, je me doute que... (Je tente de regarder discrètement par-dessus l'épaule de Shigeru, guettant l'intérieur dès qu'une portion acceptable sera visible.) Ce n'est pas évident, toujours!

     J'espère qu'il ne remarque pas que j'essaye de me mettre sur la pointe des pieds, pour voir. Allez, ne sois pas timide, tu as vu comment c'était, chez moi, quand ce n'est pas rangé... Ou peut-être a-t-il quelque chose d'autre à cacher? Je me ravise, après un instant de mûres réflexions. Il a l'air d'être honnête et de dire ce qui ne va pas... Qu'est-ce que tu caches, toi?

Kami Sakuraï : Tu couvres quelqu'un, là-dedans? Tu as l'air suspect, là! Ha ha ha!

Shigeru Yamane: Hahaha!! Tu penses bien que si j'cachais un macchabée là-dedans, tu n'en sauras rien!

J'essaie de faire un peu d'humour. J'ouvre la porte de mon appartement, et je glisse un "à tout de d'suite" avant de refermer précipitamment. Allez, les filles, on disparaît fissa! Hum... À vrai dire c'est juste des dessins de filles un peu érotisées dans des poses sexy, mais mieux vaut être prévenant et éviter de subir ce genre de déconvenue. Je décroche absolument toutes les chaudasses en deux dimensions, et je les roule pour les mettre dans un coin de la pièce, au niveau de la bibliothèque. Bon!... Si elle flippe pour le poster de Marilyn Manson, je lui expliquerai. Je reviens vers Kami.

Shigeru Yamane: Voilà! Fais comme chez toi! Désolé, le mobilier est un peu vieillot, mais, perso, après toutes ces années à Domino, j'trouve que l'appart a gagné un certain charme, haha! Entre, je t'en prie? J'te sers à boire?

J'ai dit ça tout en ouvrant la porte. D'un geste un peu théâtral, je m'incline comme un steward d'hôtellerie, et invite promptement ma jolie convive à se reposer un peu au niveau de la petite table en bois, avec des pieds ornés et un bouquet de faux lys au centre.

J'entre et je reste près de Shigeru, je le suis à la trace, encore un peu sous le double-choc du combo vendeuse au marteau et secret apparemment honteux de Shigeru. La pièce dans laquelle j'arrive est similaire à ma chambre, mais c'est plus grand. Il y a un futon, et pas loin, une T.V. Un gros lustre pend au plafond. Et effectivement les meubles font un poil vieillot, mais ils doivent faire partie d'un héritage qu'il doit chérir - du moins en partie.
     Je m'installe à la table que Shigeru m'indique - lui au moins, il a des chaises - tout en scrutant avec prudence les moindres recoins de la pièce. Il y a une drôle d'affiche, sur un mur - d'autres semblent avoir été décrochés récemment, vu les "tâches d'ombres" sur les murs -  j'ai déjà vu un visuel similaire sur un t-shirt d'un pote à Darren, une fois, quand j'ai dû toquer chez lui parce qu'il faisait trop de boucan. Les goûts éclectiques ne me gênent pas, tout au contraire, à part si c'est Darren et ses amis qui me les font découvrir à deux heures du matin.
      Shigeru me demande si j'ai soif. Oui, et pas qu'un peu! Je fais un petit "oui" de la tête, en m'empressant d'ajouter :

Kami Sakuraï : Tout, sauf la... euh... limonade d'hier... Les bulles me sont montées à la tête...

      Et je ne pense pas que réitérer l'expérience avant d'aller à Kaiba Land soit vraiment la meilleure des idées. Encore, ce soir, oui, peut-être, même si je n'en suis pas tout à fait sûre. Cette boisson était vraiment trop forte pour moi... Et pour cause, j'en ai encore un peu mal à la tête et au ventre, en y repensant. Et je ne sais toujours pas ce qu'il s'est passé après la première bouteille...
      Question de mettre à l'aise mon hôte - qui s'est empressé quelques minutes auparavant de se dépêcher de déblayer le terrain - je tente de parler un peu avec lui. Pas d'emblée de notre soirée de la veille, je pourrais le mettre aussi mal à l'aise que moi, comme je ne sais pas jauger ma délicatesse... Je décide tout naturellement de lui parler de... son habitat naturel.

Kami Sakuraï : Dis, y'a pas longtemps, il y avait plus d'affiches que ça, chez toi? Elles sont passées où? Il s'est passé quoi?

     Je fais un grand sourire. Je pense que ce n'est pas une trop drôle de question Au moins, je ne lui parle pas de son hypothétique "macchabée" qu'il cachait ici. N'empêche, pourquoi il ne voulait pas que j'entre tout de suite?

Shigeru Yamane: Assieds-toi championne, je vais pas t'le demander deux fois!

Je verse un jus d'orange pour Kami en le posant sur la table. Non mais quelle curieuse! C'est vraiment ma veine, elle doit utiliser sa super intuition de magicienne, sûrement un genre d'arcane secrète, une technique réservée aux filles adorables avec des grands yeux innocents. Bon, je fais sûrement une connerie, mais je décide de lui dire la vérité.

Shigeru Yamane: Ben... Tu vois c'que c'est, une pin-up? C'est un genre d'image peinte et dessinée qui a émergé pendant la seconde guerre mondiale aux states... Hum... Enfin, ça te dit pas c'que c'est... Souvent, t'as une nana un peu naïve avec un habit léger et cliché, souvent caractéristique de sa région? Nan? Bon, en fait, à la base ça existait pour... Euh... Réconforter les militaires américains quand ils étaient loin d'chez eux... Heu... Mes parents m'en ont toujours voulu pour ça d'ailleurs, pas parce que j'adorais les pin-up mais parce que j'étais super intéressé par la culture américaine dès tout petit. Je collectionne ces images, je les redessine et parfois même, je m'amuse à en créer sur des grands formats... Heu... Voilà.

Je baisse la tête en attendant la sentence.