Fun Bowling [Ouvert]

Lieu précédent.

Vendredi 4 août 2007

Nous avons suivi ensemble de longues rues sous un ciel bien gris, mais la pluie avait cessé. Sur les côtés, des parcs et de petits restaurants se faisaient de plus en plus nombreux. Aussi des stations-service, avec de vieux bonhommes qui tenaient vigoureusement le pistolet de leur réservoir de super. Une drôle d'atmosphère s'installait. Le temps pourri, mi-brumeux mi-chaud, faisait que nous étions quasiment les seuls à arpenter le sud de Domino City. Puis, on voyait enfin le large. Nous avons alors longé le quai, en ne manquant pas d'observer certains des immenses bateaux qui stationnent, surtout des vaisseaux à marchandises...

Shigeru Yamane: Eh, Ryota a souvent dû passer dans le coin, non?... Avec tous ces bateaux... Enfin! Ça te fait pas bizarre de te dire que dans un de ces navires, tu vas voguer vers la Duel Académie? Remarque, moi aussi...

Je m'interromps en fixant le ciel. Il est moins blanc qu'au début de notre marche. De petits nuages bleu-gris semblent s'inviter à la fête à nouveau, mais ne sont pas si menaçants. J'ai même l'impression d'entendre un air de harpe dans les airs, haha!!

Je regarde autour de moi. En fait, je ne viens que rarement dans le port de Domino. Je le connais assez bien, mais je n'aime pas trop y venir. Je n'ai pas envie d'y croiser...certaines personnes. Sur le quai, je suis distraite, çà et là, par des gosses mais aussi des vieux qui crient : les uns jouent avec des filets tandis que les autres déchargent des choses des bateaux, l'air maussade. Je me revois, comme ces gamins, courir partout avec un petit filet ou une canne de fortune, sur les bords d'un petit étang, il y a quelques années de ça, en fait, il n'y a pas si longtemps, pendant qu'au loin ils pêchaient. Je remontais des petits poissons que j'essayais de faire vivre désespérément dans des bocaux en plastique bien trop étroits, sans succès par ailleurs. Quelle cruauté... C'est qu'on doit étouffer, là-dedans...
      Je dois faire une drôle de tête, en repensant à tout ça. Je décide de me remettre vite les idées en place, et penser à autre chose encore. Pas à ces souvenirs. Parce que... ça fait... trop mal.

      Des grands et gros bateaux quittent le port sur une eau trouble, reflétant un ciel gris promettant la tumulte. L'air est très frais, plus frais, au bord de l'eau. Shigeru me parle de ces bateaux, tout en laissant entendre que le voyage vers la Duel Académie se ferait en bateau. J'ai le souvenir d'un voyage en bateau, une fois, et...

Kami Sakuraï : J'ai loin d'avoir le pied marin... Je vais en être malade;.. Ah ah ah...

Shigeru Yamane: Ah oui? Je ne sais pas si je te l'ai dit, mais moi, j'ai le mal des transports en général, depuis tout petit... Pour mon seul et unique voyage en bateau, j'avais pris des calmants et je m'étais endormi deux minutes après le départ, donc... Aucun souvenir de comment ça tanguait.

Nous arrivons vers une partie de la jetée parsemée de petites planches de bois. Sur notre droite, on voit au loin une grande roue, toute proche de l'Aquarium qu'on devine à ses toitures spécifiques. Mais ce n'est pas là que nous allons. En continuant à longer le quai, nous tombons sur des préfabriqués en tôle verte. Encore plus loin, l'un d'entre eux a des lettres rouges dont les lumières sont déjà allumées: Fu Bowling. Oui, on dirait bien que le premier "N" est tombé. J'crois bien que ça a changé par rapport à mes souvenirs.

Kami Sakuraï : Oh nooon! (Je commence à pouffer de rire.) Ils... Ah ah ah... Ils auraient pu raccrocher le "N"... Darren saurait quoi en faire de ce "Fu" Bowling... Ah ah ah... En rajoutant deux lettres seulement...

Shigeru Yamane: Pfu... Pfhéhéhéhéhéhé...

Oh non. Elle est sérieuse? Elle en a pas l'air comme ça, mais c'est une petite dévergondée, ma Kami, huhu! J'vais te montrer à quoi il ressemble de plus près, moi, le Fuck Bowling, et tu vas aimer ça, petite succube rousse!

Shigeru Yamane: Tu sais, la prise sur les boules est très importante... Il faut être précis et puissant... Oui! L'important dans cet établissement, c'est de bien prendre son élan avant de placer ses boules... Pff... Hihi... BOUHAHAHAHA!

J'en peux plus, ma propre débilité m'a explosé de rire. Je me tiens les côtes et je cours me plaquer contre le mur, en tapant dessus comme un malade... Huhuhuh... Putain, ahahah, stop! J'en chiale nerveusement tellement je suis irrécupérable! Le problème, c'est qu'un vieil homme en T-shirt rouge est sorti du bâtiment pour aller me voir... Et visiblement, il flippe pour ma santé, je dois être rouge brique à force de rigoler, non?!

Vieil homme: Euh, monsieur... J'étais en train de remplir mes papiers, et, je vous ai entendu... Vous allez bien?

Ma blague a un effet... plus que comique. Shigeru est positivement hors de lui, et visiblement taper le mur vigoureusement avec ses poings, à moitié en se tenant les côtes, dans une position grotesque, l'aide beaucoup à faire descendre la pression. Bon. Maintenant, je sais que je ne dois plus faire de blague avec ce potentiel ravageur, déjà juste pour sa santé physique, mais surtout pour sa santé mentale...
    Visiblement, je ne suis pas la seule à m'inquiéter de tout ça : un homme vient de sortir du bowling, l'air inquiet. Il s'adresse à Shigeru - toujours en train de rire comme un dément - s'inquiétant de le voi dans cet état. Je prends l'initiative de répondre à la place de Shigeru, parce que, vu son état, il ne semble pour le moment, et pour un petit bout de temps, pas en mesure de répondre...

Kami Sakuraï : Bonjour!.. Euh... Pour ainsi dire, c'est de... ma faute si Monsieur se retrouve... Euh... Comme ça... Ah ah ah... Une blague qui le fait rire, et pas qu'un peu... Ah ah ah...

Je suis encore complètement déchiré par la bêtise que Kami a prononcé. Je tape le mur et mes côtes, mais rien ne s'arrange; bien au contraire mon fou rire devient de plus en plus sonore. Le vioque bien habillé, à moitié dégarni, me regarde avec un air de plus en plus perplexe et j'aimerais bien arranger mon état, arrêter de me péter des barres avec le mur en faisant travailler mes glandes lacrymales.

Vieil homme: Hum, je vois... Ce devait être une sacrée plaisanterie, pour que votre ami soit dans un pareil état...

Shigeru Yamane: HAHAHA! HAHAHA! LE FUCK BOWLING!! HAHAHAHAHAHAHA!

Oh non. Je crois que ce mec a compris. Pour ne rien arranger, je viens de remarquer un badge avec écrit "STAFF" sur son T-shirt rouge, haha, ça craint, c'est donc quelqu'un qui est employé au Fuck... Non, au Fun Bowling. Je tente tant bien que mal de fermer ma bouche, mais je ne réussis qu'à fixer le bonhomme avec un large sourire allant quasiment jusqu'à mes yeux, ce qui doit augmenter la nervosité du papy. J'ai bien l'impression que c'est mort pour se faire une glace et une partie dans une ambiance légère. Et merde.

Vieil homme: Le... Fuck Bowling, hein? Ah, remarquable accent en tout cas! Voudriez-vous entrer, et que je vous serve un verre d'eau pour vous rafraîchir?

Il me regarde avec un grand sourire et des yeux mi-clos, j'ai un peu de mal à décrypter cette drôle d'expression. Bon, j'ai qu'à supposer qu'il m'en veuille pas trop, ce bon monsieur, du moins, je l'espère. Ce serait pas la première fois que j'offense les gens sans le vouloir, mais quand même... Il s'agit du Bowling de mon enfance, même si j'y suis allé que deux fois depuis la sortie avec Shuya. Répondons de façon civilisée.

Shigeru Yamane: Euh... Volontiers! Euh, à... À vrai dire, j'étais déjà venu ici pendant mon enfance, et je voulais montrer cet endroit à mademoiselle... Et, si possible, venir faire une partie, avec une glace en récompense pour mon accompagnatrice... Haha... Euh, désolé.

Shigeru arrive à se remettre de son émotion, mais pas sans laisser échapper la blague ayant provoqué son hilarité. Au moment où il prononce "Fuck Bowling", j'ai l'impression qu'un froid est venu se jeter entre nous tous, et geler l'espace-temps présent. On va se faire virer... Ah là là... Bon, au moins, ça m'apprendra à tenir ma langue...
    Après un petit moment de latence, l'homme du bowling répond. Bon, il n'est pas trop choqué par ce que vient de dire Shigeru. Il l'invite même à entrer pour boire un verre d'eau. OUF. Je pense pouvoir dire, sans me tromper, que malgré la bourde, tout va bien.

Kami Sakuraï : Bon, eh bien, je te suis..!

Nous suivons alors le vieil homme en passant une double porte en bois, à vitres teintées sur lesquelles est imprimé le logo du lieu, une boule géante avec une moustache et une bouche en "O". Plutôt marrant! Et l'intérieur... N'a rien à voir avec l'extérieur très sobre. Je dirais même que ça a un charme plutôt kitsch. La première chose qui frappe, c'est une âpre odeur de sucrerie, de bonbon gélatineux qui flotte dans la pièce, mais surtout, les couleurs sont vraiment saturées, tout juste à la limite d'être criardes. Le sol est fait d'une moquette rose à petits pois, et les murs d'une vieille teinte crème sont éclairés par des néons roses et verts. L'endroit est bien propre, même si on sent qu'il n'a pas dû accueillir grand monde récemment. En fait, il n'y a strictement personne. Le vieil homme se dirige vers un petit comptoir en bois tout proche de l'entrée. Il commence à pianoter sur sa caisse enregistreuse.

Vieil homme: Alors, vous m'avez bien dit, une partie, c'est ça? Plus une glace?
Shigeru Yamane: Euh, oui, c'est ça... En glaces, vous faites toujours la "Fun Fuji", m'sieur?

L'homme me regarde avec de grands yeux ronds. Bah quoi, j'ai dit quelque chose de mal?

Vieil homme: Vous... D'accord, c'est gentil. Ça va vous faire rire, mais je n'ai plus préparé cette glace depuis presque quinze ans!!
Shigeru Yamane: Ah... Ah ouais? Mais, c'est dingue ça! Il y avait du Cookie, des barres en chocolat, du caramel, de la chantilly, de la vanille, et des noix de pécan, et...
Vieil homme: Et une cigarette salée pour mélanger le tout, à partager à deux pour seulement 2000 yens, 2300 si on la prend avec une partie! Vous êtes donc vraiment venu ici, vous vous souvenez de ça?
Shigeru Yamane: Et comment! C'était la première fois que j'mangeais une glace aussi bonne, enfin, surtout qu'étant enfant, mes parents m'éloignaient souvent de ce qui était sucré... Mais cet après-midi de juin, mes papilles gustatives n'étaient surveillées par personne d'autre que mon cousin, haha!! Enfin, euh, excusez-moi, donc, hum...

Je m'interromps. Cette fois, on dirait que c'est le vieil homme qui va pleurer, mais pas de rire. Sans déconner, on dirait que c'est le plus beau jour de sa vie.

Vieil homme: Vous... Vous avez vraiment trouvé ça bon?
Shigeru Yamane: Euh, oui, vous en faites pas! C'est bien pour ça que j'vous l'ai dit, non?

Il devient légèrement inquiétant, ce type. Je tourne mon visage vers Kami, en lui demandant:
Shigeru Yamane: Sinon, mademoiselle, tu veux peut-être autre chose? Tu pourrais jeter un œil à la carte des glaces, ou tu voudrais un apéro, peut-être? Héhé!!

Kami Sakuraï : Déjà, on va se faire un bowling, pour voir qui va payer la glace, ah ah ah!

  Je donne un léger coup de coude à Shigeru, j'ai envie de le taquiner encore bien plus aujourd'hui. D'autant plus que le bowling est vide, et que j'ai le plaisir de lui faire autant de blagues que je veux dans la limite du raisonnable - il ne faut pas oublier que le gérant du bowling est là, ah ah ah!
   Je me toune vers les pistes. Il y en a une petit dizaine, quinze tout au plus. Je regarde Shigeru en lui demandant laquelle il voudrait prendre, du fait que tout l'endroit est rien qu'à nous, aujourd'hui!

Je vais chercher les 2300 yens que je transmets au gérant, en ne manquant pas de lui dire que la glace est pour plus tard. Pour le moment, j'ai un petit duel à livrer, mais pas avec des cartes cette fois! Puis, le vieux gars nous demande nos prénoms, sûrement pour les inscrire au tableau des scores. Que j'ai bien l'intention de pulvériser, muhahaha!

Shigeru Yamane: Ok magicienne! En piste, on va prendre la deux!

J'avance sur la piste numéro deux, dont Shigeru a fait le choix. Le gérant sort de derrière son comptoir deux paires de chaussures de bowling. Les miennes ont l'air à ma taille. Il doit avoir un sacré coup d’œil, le gérant, ah ah ah! J'attends au niveau des sièges, en balançant mes jambes frénétiquement, en attendant la venue de Shigeru. Tu devrais arrêter de faire ça, tu ressembles à une enfant...
    On voit que le parquet est ciré régulièrement, mais pas tous les jours. Quand je regarde vers mes pieds, je vois au sol des tas de griffures sur le parquet, des griffures d'usure. Il y a aussi des drôles de taches au sol. Il y a dû y avoir des tas de choses renversées durant des années, et ça a dû s'imprégner. N'empêche, l'endroit a un charme, et c'est plaisant! Je continue de battre des jambes. Arrête ça, il va vraiment te prendre pour une gamine... Peuh, ça m'étonnerait, et quoi que je puisse dire...

Kami Sakuraï : On va tellement avoir la classe avec nos nouvelles chaussures! C'est trop  pour un look futuriste vu par les années 90! Ah ah ah!

Shigeru Yamane: Euh... Ouais, je suppose, haha! Genre comme avec... Euh, dans le cas de... Retour vers le Futur 2? Non, je dois dire une bêtise... Bah, laisse tomber.

Cette fille me décontenance. Je dois dire que je ne m'attendais pas à ce qu'elle apprécie autant la sortie, vu son énergique jeu de jambes. En tout cas, il est temps de jouer! C'est le nom de Kami qui est affiché sur le petit écran qui grésille. Oh, la musique diffusée ici est vraiment cool! On va bien s'éclater, nous deux!!

Shigeru Yamane: Héhé, mais si tu commençais, voyageuse temporelle?

Instructions MJ:

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'Dé à dix faces' : 10

J'ai pu mettre mes chaussures en vitesse, et je suis prête à lancer la grosse boule noire de toutes mes forces. Allez, petit gars chauve dans la boule, un petit strike, s'il te plaît... Le bras tendu, je ramène toute ma force de mon côté droit. Je me concentre, je suis à fond. C'est parti.
    Je fais quelques pas en arrière, je balance mon bras, et je lance la boule. Elle frappe le sol avec bruit, puis roule, roule, roule... tout le long de la piste. Elle vacille mais garde un bon cap. C'est à plus de la moitié de la piste que je peux me dire que j'ai des bonnes chances de faire un "perfect" - sur le premier lancer, tout du moins!
     La boule continue son chemin, avec vigueur et énergie, et... Elle frappe de plein fouet toutes les quilles, qui... tombent. Pas une seule debout, et dès le début! Wow!

Kami Sakuraï : Hé hé hé, on dirait que j'ai de la chance, aujourd'hui!

    Alors que je savoure ma victoire, j'entends le bruit de la porte d'entrée qui s'ouvre. Et à en croire le bruit, c'est deux personnes qui viennent d'entrer. Pf. J'en ai quoi à faire, moi, de ça?! J'ai de la chance aujourd'hui, et ce n'est pas prêt de s'arrêter!

Shigeru Yamane: Quéque... Quoi?

Argh... Comment elle m'a envoyé ça!! Le coup de bol qu'elle a eu... Les quilles sont toutes tombées aussi vite que moi j'suis tombé amoureux! Elle a forcément déjà fait une bonne quantité de parties auparavant... Quoique, j'en sais trop rien. Mais son geste a eu l'air technique, elle rasait le sol en cherchant son équilibre... Bon. Je peux pas échouer! Ah! Je sais. Un petit coup de provoc pour l'émulation entre prof et élève, muhahaha!!

Shigeru Yamane: Pas mal petite... Mais je ne m'avoue pas vaincu! Si je te bats sur cette partie, tu me dois 2300 yens, tu sais? Héhé... Tu as la chance qu'ils fassent des boules pour les nanas ici, mais moi, je vais prendre la plus lourde et rentrer dans l'tas! Héhéhé!

Je prends mon inspiration et la boule de sept kilos. Allez, on s'concentre...

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'Dé à dix faces' : 6

Kami Sakuraï : Oh, juste six quilles?... Hum, avec un peu de chance - et ton deuxième tir - tu pourras faire un spare! En tous cas, on dirait bien que je suis en bonne voie pour gagner, hé hé hé!

    Les bruits des deux autres personnes derrière nous s'intensifient. Il y a, c'est sûr, un homme et une femme. L'homme semble plutôt calme, mais taquin, et la femme... Sa voix de crécelle fait grincer mes dents. Elle parle à peu près comme la fille de Kaiba Land, mais à son timbre de voix, on sent qu'elle est plus vieille. Cependant, ses remarques, son attitude vocale, enfin, une combinaison de facteurs, fait qu'on dirait une vieille adolescente, le type même de la femme proche de la quarantaine qui se fait voir encore "jeune". Tss.. Et dire que j'en connais, non, j'en ai connu, dans mon entourage. Il faut juste ne pas y prêter attention, c'est tout...
    Shigeru n'a, il me semble, même pas remarqué qu'il y avait deux nouveaux "visiteurs". Il est bien trop concentré pour son deuxième tir. Surtout, ça se voit, il n'a pas envie de perdre face à moi, ha ha ha! C'est qu'il est mignon tout plein, quand il est énervé comme ça, ah là là là...

Shigeru Yamane: Grr... Juste six quilles de tombées? Bon, c'est pas plus mal, au moins, j'ai évité la gouttière... Et puis, mon honneur et ta glace sont en jeu, alors je ne peux pas perdre, mouhahaha! Allez, on se concentre!!

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'Dé à dix faces' : 4

Shigeru Yamane: Eeeet, SPARE!!! Haha, la FAC m'a pas fait perdre la main pour ces jeux on dirait! Mais bon, sur ce coup-là, on dirait que c'est toi qui a l'avantage Miss... Pas pour la seconde manche, cependant! Héhé!

Je sautille comme un gamin. Hé, c'est moi là? J'ai peine à le croire. Kami rend mon cœur tellement plus léger quand elle est à côté de moi. Et puis là, le jeu, c'est le jeu, on déconne pas. J'serais autant immergé dans une partie de Puissance 4 ou de Morpion, au final.

Shigeru a l'air vraiment content d'avoir réussi à faire un spare. Je n'ai jamais vu quelqu'un d'aussi impliqué dans une partie de bowling... et ça a aussi l'air d'être le cas des deux autres personnes qui viennent d'arriver - plus le gérant. Shigeru a beau être encouragé par le fait d'avoir effectué un magnifique spare, et d'en avoir sautillé, sur foi de son honneur et de ma glace, en tous cas, les autres, ils ont l'air de trouver ça plutôt louche. Les voix se sont arrêtées - surtout celle de la femme-crécelle - et un silence s'est installé.
    Je regarde Shigeru. Je me demande s'il se rend compte de ce qu'il vient de se produire. Ah, si on avait été qu'à deux, avec le gérant, ça n'aurait posé aucun problème, mais là, vu les commentaires que j'ai pu entendre de l'autre crécelle... Je me lève pour prendre une boule de bowling - la plus légère - et je tente de ne pas me concentrer sur ce que disent les deux autres. J'entends très clairement la femme se poser des questions tout haut. Puis plus rien. Et ensuite... Des bruits de pas vers nous. Oh, on vient nous admirer comme dans un zoo...

??? : Kami?!? Oh! Mais c'est ma cousine adorée!!! (Elle s'écrie ça, je fais comme si je n'avais rien entendu.) Bah, alors? On ne vient pas dire "bonjour" à Mariko et à Jo... (Elle se coupe elle-même.)

    Je n'ai plus d'autre choix que de me retourner. Mariko, ma cousine, et son nouveau "mec", Josuke, que j'ai déjà vu quelques fois, et dont on ne dit que du bien - ce qui n'est pas le cas pour ma "chère" cousine. Je la regarde, de bas en haut. Comme d'habitude, elle s'est parée d'habits très courts, avec des couleurs criardes: mini-jupe rouge, haut en dentelle noire qui laisse voir trop de choses, et talons hauts... C'est pas une tenue pour faire un bowling, ça... Elle a fait friser ses cheveux, avec un genre de ruban dedans, assorti à la jupe. Et elle me regarde d'un oeil mesquin, arborant son plus faux sourire. Son "mec" ne lui ressemble pas, mais pas du tout, en plus, de ce que j'ai su, il joue à Duel Monster - alors qu'elle méprise ce jeu de "gamins".

Kami Sakuraï : Si je m'y attendais...

    Mariko juge du regard Shigeru autant que je la juge. Elle semble étonnée que je sois ici, accompagnée, surtout. C'est vrai que pour elle, je suis une otaku, et que j'ai moins de valeur que sa Majesté. Elle peut tellement, mais tellement, aller se faire voir. Je ne me laisserais pas faire par une cruche pareille.

Mariko : Oh, tu as un ami, maintenant? C'est biiiiiiien... (Elle prend son ton le plus méprisant.)

Quoi? Alors qu'on passait du bon temps, une espèce de dinde montée sur des talons plus hauts que ses petites mains fourchues vient à la rencontre de Kami, en battant des cils de façon condescendante. Maintenant que j'y pense, j'ai cru entendre des gloussements dans le fond du bowling, mais je pensais que c'était juste la playlist qui déraillait. Malheureusement, on dirait bien que la seule chose qui déraille, c'est la voix de la dinde en question. Elle arrive pour se planter en face de Kami et pivote comme une animatronique. Je l'écoute parler. C'est vraiment sa cousine? Pourtant, son visage n'a rien à voir, mais c'est peut-être le silo à grains de maquillage et de fard qui obscurcit les traits étirés de ce masque pointu qui lui sert à communiquer ses émotions, ou plus exactement en l’occurrence, son mépris. Oh, ce genre de visage et d'intonation, je connais. On dirait les pimbêches du lycée à Rintama, la petite bande de nanas de la 3B. Des meufs qui partageaient leur temps libre entre rackets, chantage, harcèlements et prostitution. Ça les amusait de faire flipper les autres. Elles ont essayé avec moi, et Akira deux semaines plus tard, mais elles auraient jamais dû, héhé. Même mon pote Caillou qui était pourtant un chaud du slip à l'époque préférait éviter leur groupe quand ça lui était possible. Non pas qu'il en avait peur, mais ce genre de putes nous dégoûtait lui comme moi. Comme le disait Akira, la voix de la sagesse: "j'ai déjà une maladie génétique qui me bousille le cœur en plus d'être épileptique, donc j'ai pas envie de choper la syphilis en lot supplémentaire".

Sauf que là, c'est pas une adolescente débraillée en jupons avec un chemisier un peu trop ouvert. C'est une meuf qui a au moins trente-cinq berges sapée comme une travailleuse du sexe, qui parle à ma petite copine avec irrespect comme si elle avait été une forme de vie inférieure ou une personne âgée et gâteuse, incapable de comprendre si on articulait pas fort et très lentement. Non. C'est encore pire que ça. Elle se moque. Elle le sait. Je revois encore les visages hilares de mes camarades de primaire. Bouche ouverte, baveuse, imitant un air débile. Ces visages se superposent à celui de cette grosse cruche. Je tremble.

Shigeru Yamane: Excusez-moi, mais on dit bonjour aux personnes inconnues pour commencer. Je peux savoir ce que tu veux à Kami?

Je me suis efforcé d'être le plus poli et distant possible, mais le "tu" est parti tout seul. Je sens mon poing qui tremble. C'est pas que les mots qui risquent de partir tout seuls uniquement, je crois. C'est mon corps tout entier qui est en ébullition. Quelle que soit la raison, on se moque de Kami, et je ne peux pas le tolérer. Personne ne devrait faire face à ces visages laids et bouffis déformés par leur propre jugement sur toute chose.

Ma cousine adorée me regarde d'un air fâché. Awwwwn. Et elle est contrariée, en plus. Pauvre petite choute. Cette morpionne devrait apprendre à respecter ses aînés, et c'est mon devoir de le lui faire sentir. De toute façon, ce n'est qu'une petite adolescente, une enfant, même, à jouer à ses jeux de débiles. C'est qu'en plus, elle se croit grande, à me fixer dans les yeux, alors qu'elle est incapable de soutenir un regard. C'est ton copain qui te fait avoir ce genre d'acte?
     En parlant du copain, il n'a pas franchement l'air d'être une lumière non plus. Comme on dit, qui se ressemble s'assemble. Plutôt grand, du poil au menton, aurait pu être beau garçon s'il n'avait pas de si mauvaises manières, et un comportement aussi bizarre, sans parler de ses cheveux... Un décoloré et une otaku, ça donne un drôle de mélange. Il ne manquerait plus qu'avec sa tare habituelle, Kami bascule vers ce mauvais côté. Je vais la faire revenir du bon côté. Elle deviendra une bonne fille, bien sage, une vraie fille, une princesse. Mais il faut lui faire comprendre tout ça de manière forte, dommage...

Mariko : Non, mais toi, je t'adressais pas la parole, alors tu vas bien gentiment te la boucler...

     Ce garçon est plus jeune que moi, ça se voit, mais pas si sûr qu'il ait l'âge de Kami. On a rarement autant de barbe au lycée, ou bien il a doublé tellement de fois qu'il se trouve encore là;, ça m'étonnerait même pas. Kami a l'habitude de s'attacher aux pires déchets qui soient.
      Avec ma petite phrase bien sentie et une petite tape, à moitié amicale, à moitié moralisatrice, sur la joue de ce jeune bougre, je me sens bien mieux. Il voit qui c'est, le chef, ici, et c'est Ma-ri-ko. Allez, avec un peu de chance, il va partir d'ici la queue entre les jambes et laisser Kami revenir dans la lumière. Elle peut bien venir traîner dans un trou à rats comme celui-ci, mais qu'en présence de sa famille. Le décoloré, il est pro-scrit.

Je regarde avec effroi la réacton de Mariko. Ce qui m'inquiète le plus, c'est de savoir comment Shigeru va réagir à sa provocation. C'est clairement, très clairement, un moyen de pression; Je connais trop bien Mariko, et je ne me trompe pas dans mon analyse : son visage grossier et narquois, flanqué d'une bonne tonne de maquillage - pour estomper les rides et la méchanceté encrées sur son minois - se déforme en un drôle de rictus.
    Je réfléchis à toute vitesse. Comment calmer le jeu? Je ne pense pas que Shigeru ait apprécié le court contact avec Mariko, et encore moins sa remarque, et le fait qu'elle l'ait "replacé" de cette façon. Elle se croit pour la voix de la sagesse, mais je suis sûre que Bouddha ne voudrait même pas lui donner de réincarnation, même en bougre d'oie...

Kami Sakuraï : Mariko, tu ne veux pas te lancer sur la piste, là, à la place de ma boule? Avec tes grosses fesses, au moins, je suis sûre de faire un tas de strikes!

     Je tente de détourner l'attention de Mariko, et de laisser Shigeru reprendre contenance, puisqu'à tous les coups, il va vouloir régler cette histoire au poing - comment ne pas le comprendre, la sale tête de Mariko ressemble déjà à un Picasso, on est à deux doigts du Malevitch, si on lui tape dessus...